(Même que Pharell Williams et Petrucciani ils le sont d'abord)
Après avoir été interpellée par le passage sur la synesthésie dans le bouquin de Jeanne Siaud-Facchin, et être tombée hier sur cet article de Madmoizelle, je me suis dit que ce serait drôle d'aller vérifier si oui ou non, j'étais synesthète (allez vous aussi vérifier sur synesthete.org, ça coûte rien et ça aide la recherche).
Car certes, aucune couleur n'apparaît directement sur l'encre quand j'écris, et si on me dit "xylophone", je ne ressens pas spécialement de goût salé sur le bout de ma langue. Mais certains chiffres ont définitivement des couleurs (je les vois dans ces couleurs dans ma tête, depuis que je les ai appris), la musique aussi, ainsi que certains mois de l'année. Les résultats du test (sur synesthete.org, donc) confirment des "symptômes" d'un phénomène de synesthésie graphème/couleur (par exemple pour moi, le M est bleu foncé, le U est vert bouteille), idem pour l'association mois/couleur, instrument/couleur. Ils m'expliquent également que je serais "associator" et non "projector" dans la mesure où mon cerveau associe de lui-même, en l'occurence, les lettres/chiffres/instruments à des couleurs, mais où je ne les vois pas directement. Certains synesthètes vont carrément voir leur vision se teinter de bleu ou de rouge quand ils entendent un son spécifique, et les lettres qu'ils lisent ou écrivent vont prendre une couleur. Je n'en suis pas là (Dieu merci), j'aurais simplement une syneshtésie de type "associative" pas du tout handicapante.
Jusqu'à présent, je ne pensais pas qu'il s'agissait d'un phénomène particulier. En fait, j'ai même toujours pensé que c'était le cas pour tout le monde, mais apparemment non, si on considère la grande discussion que nous avons eu avec mon copain à son retour :
Lui, me regardant bizarrement : Comment ça, "5" est bleu et c'est une fille ?!
Moi, convaincue : Ben oui, c'est comme août, c'est rouge brûlé, tiré sur le brun. Comment est-ce que tu vois apparaître les mois, toi ?
Lui, circonspect : Heu... si tu me dis "janvier", je vois le mot "janvier" apparaître en noir sur du blanc.
Moi, reprenant depuis le début : Mais si tu essayes de te repérer ? tu te repères comment ? Si je te dis "janvier 1984" et que tu essayes de te repérer, tu n'évolues pas sur quelque chose ? Même une simple ligne horizontale et chronologique ?
Lui, perplexe : Eventuellement une ligne mais je vois surtout "janvier 1984" en noir sur blanc dans ma tête quoi...
BADABOUM. Là, je me retrouve à essayer d'expliquer ce que je fais plusieurs fois par jour, à savoir me repérer dans le temps pour fixer un rendez-vous, me projeter, penser à mon emploi du temps, ou même me situer dans l'Histoire.
Tout d'abord, la grande Histoire de l'Humanité est verticale, et je me déplace tel un curseur. Les années 2000 m'arrivent à la tête, l'an 1 après J-C est bien, bieeen en-dessous de mes pieds. Et moi je grimpe ou remonte selon que j'entends "1980", "1515" ou "-300 avant J-C".
Mais ce n'est rien comparé à ma représentation des mois et des semaines. Là, on passe carrément à une représentation 3D en forme de ruban, autour de laquelle je peux évoluer.
Ma semaine :
Bon. Il s'agit donc d'une sorte de ruban, ascendant les week-end, descendant en semaine. Je peux me placer d'un côté ou de l'autre du ruban. Sur le schéma, l'après-midi est à gauche du pointillé et le matin à droite : autant dire que d'ordinaire, je me place donc de l'autre côté du ruban.
Mais le ruban de la semaine est en fait intégré à un plus large ruban, celui de l'année :
(il est beaucoup plus lisse et régulier sur le schéma que dans ma tête, mais c'est pas grave)
Voilà voilà. On me dit "novembre" et je sais exactement où me positionner. On me dit "juin 2015" et dans ma tête je fais des "tours" sur le ruban pour comprendre la durée me séparant du présent à cette date future. D'autant que novembre, c'est une position sur le ruban, mais c'est aussi du brun presque noir. Août est rouge brûlé, octobre est vert bouteille, janvier est blanc...
A ce moment-là, on a dépassé le stade de la discussion sur la synesthésie pour comparer nos représentations internes (et que le copain en vienne à sa conclusion de prédilection : "je t'aime mais t'es vraiment bizarre des fois" et que je renchérisse par cette magnifique tirade de Hamlet Friends : "tu ne m'aimes pas pour ça mais malgré ça")
Des fois je rêverais de savoir, non pas ce que pensent les gens, mais la manière dont ils le pensent. Sont-ils débordés d'émotions ? réfléchissent-ils en lignes, en courbes, en tableaux ? rangent-ils leur pensées ? parviennent-ils à faire le vide ?
Fin de la note qu'on dirait-que-j-etais-sous-drogue-alors-que-non-même-pas.