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Dans les casseroles
Dans les casseroles
  • 23 ans, diplômée d'une grande école, en reconversion dans la pâtisserie. Aime la cuisine, la culture, faire chauffer ses casseroles et écrire sur celles qu'on traîne avec nous. Tatouée / gourmande / curieuse de tout /
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15 février 2013

L'extra-terrestre du troisième rang

 

J'ai toujours été prise entre deux feux. Non pas que ça me rassure ou que je peine tant à prendre des décisions ; simplement, deux pôles se sont affrontés - et s'affrontent encore en permanence - chez moi, depuis toujours. Ce qui fait que je ne rentre dans aucune case et que je ne me sens jamais complétement à ma place : facile, c'est le lot d'une bonne masse de l'humanité (mais il faut quand même reconnaître l'atypicité de mon parcours et de mes décisions, par ailleurs soulevée à chaque entretien d'embauche et soulignée par les sourcils interrogateurs de quelques interlocuteurs quand je les rencontre pour la première fois).

Court inventaire des bizarreries avec lesquelles je vais probablement devoir conjuguer toute ma vie :

Avoir été première de la classe de la maternelle au lycée, appréciée des profs, gérant mes devoirs avec autonomie, auto-soucieuse de maintenir le niveau pour ne pas rencontrer de difficultés à l'étape suivante, séchant fort peu, sans problème de discipline, etc. Pourtant sans obsession de la note, ennuyée par l'école, faisant de grands projets de voyages et d'écriture, finissant mes exercices au plus vite pour pouvoir gribouiller mille choses sur mon cahier de texte, lieu de liberté totale où personne n'irait mettre son nez et où personne ne reprocherait les ratures et les dessins et les débuts d'histoires. Discrète sur mes notes, ne fournissant que le minimum pour ce qui ne m'intéressait guère mais un travail titanesque pour les sujets qui me passionnaient et qui surgissaient parfois au détour d'un assommante heure de cours comme des alliés me chuchotant de m'accrocher. Rien à foutre d'être la première pour le plaisir d'être la première, aucune envie d'être la lèche-botte. De la pitié pour les profs qui n'y arrivent pas et l'envie de les fuir. L'envie d'attirer l'attention des raretés de l'enseignement qui ont l'air d'être aussi intéressants en cours qu'à l'extérieur.

En toute logique donc : n'appartenant ni au noyau des quelques têtes-bêtes de classe tyrannisés par leurs parents obsédés de la note (donc bourrés de TOC, d'arrogance, de calculs mathématiques censés booster leurs moyennes, dénués de curiosité pour la Vie et le Monde en général), ni aux dissidents-adolescents-cancres-mais-rigolos qui ne peuvent pas complétement taxer de coincée mais ne peuvent certainement pas m'accepter comme l'une des leurs. Je suis déjà ailleurs, les rêves sont infinis, les mots innombrables : bref, je suis une extra-terrestre pour tout le monde.

 

Avoir intégré une grande école sans considérer que l'argent, l'apparente prospérité et le propre-sur-soi constituent les réponses ultimes au sens de la vie. Etudier en grande école en étant persuadé qu'il faut trouver son propre sens de la vie. On ne fait pas ça dans ces études-là et dans ces carrières-là. Elles appellent forcément aux compromis brutaux, ceux qu'on ignore toute sa vie pour devenir un vieux con, ou dont on prend conscience soudainement à cinquante ans en se demandant pourquoi on a été un jeune con aveugle ou endormi.

Mais impossible de choisir un camp, bien sûr. Du côté de l'Elite française (excusez du peu), on se demande pourquoi-c'est-y que je la ramène avec mon départ d'une grosse boîte, ma fine bouche devant un CDD qu'on m'offre alors que je suis siiiii jeune et que les temps sont siiiii duuurs. On se demande qu'est-ce-que-cest-son-probleme-à-celle-là si j'évoque la manière dont on traite les ressources humaines, la vacuité de mon poste (intéressant mais quelle avancée à la fin de la journée, quelle satisfaction... ?), l'envie de me créer de vrais souvenirs que je pourrais sortir du tiroir et contempler en paix à la fin de ma vie.

Toutefois, du côté de la pâtisserie (où je ne la ramène pas), quand on essaie de contourner mes réponses évasives à ce que je fais pendant mon week-end ou ce que j'ai reçu à mon anniversaire, faut voir les têtes quand je me retrouve à dire que je suis allée voir une expo (surtout si ce n'est pas celle dont tout le monde parle), ou que j'ai reçu un bouquin sur tel sujet pointu et qu'en plus c'est ce que je voulais. "Mais d'où elle sort, celle-là ?!"

Il faut donc allier l'empathie et la force, la rigueur et l'ouverture... oui, j'écoute du Wagner et du Britney Spears (pas à la suite par contre, on atteint mes limites). Dans ma cuisine, je prépare ma pâte feuilletée en écoutant Concordance des Temps sur France Culture. Après je me fais une rétrospective années 90s avec des copines en buvant un peu trop de vin. Je rattrape une fanfiction Harry Potter puis je me plonge dans mon "Cocottes : Paris 1900" qui me fait rêver. Au petit-déjeuner, on regarde Koh-Lantah avec mon amoureux, et l'après-midi on discute d'Agnès Giard et de Schoppenhauer.

Et moi ça me va, parce que ça me plaît.

Mais au-dehors, c'est toujours sur le fil du rasoir...

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