C'est comme une vanne dans un bateau innondé. Elle est fermée, l'eau fait pression, il suffit de l'entrouvrir d'un millimètre pour qu'elle s'engouffre et remplisse la pièce. Il y a un moment, où tout en recevant des compliments au travail, je me suis mise à m'éclipser, à des moments sélectionnés avec soin, pour que personne ne s'en rende compte, en prétextant autre chose, une errance professionnelle x ou y. Je pars m'asseoir dans les escaliers où personne ne va, entre trois étages en travaux et donc désertés part tous. Plus haut, plus bas, il y a des portes qui se ferment, quelques marches franchies, mais personne ne s'aventure là où je me terre. Je reste là cinq minutes, à pleurer silencieusement, à tenter de maîtriser ma respiration. J'inspire, j'expire, je bois un verre d'eau que j'ai emporté de la fontaine et qui est consommé à la toute fin de ma pause clandestine, pour me rafraîchir et me remettre les idées en place.

Puis je vais me rasseoir comme si de rien n'était. On n'y voit que du feu.

Ces deux derniers jours, je ne pouvais plus. Finalement, j'ai été eue ! Rattrapée par l'angoisse, assaillie de vertiges, de maux de tête, de nausées, j'ai pris rendez-vous chez le médecin généraliste. Et chez un psy, que je rencontre mercredi.

On m'a proposé des anti-dépresseurs, j'ai refusé. Je refuse d'en être là. Et puis j'ai hésité, mais j'ai fini par accepter l'arrêt de travail. Je n'ai jamais fait ça : m'arrêter. Je culpabilise trop d'habitude. Mais là, c'est différent... là, c'est un vrai monstre qu'il faut combattre. Qui n'a rien à voir avec les notes, le CV et tous ces trophées superficiels qu'on rapporte aux parents pour leur faire croire que tout va bien. Ma mère m'envoie des messages d'amour, de soutien, de "on tient à toi, tu vas finir par le croire ça ??" qui me font chaud au coeur. Mon amoureux, en colère, impuissant face à ma détresse, m'a dit avec une déchirante tendresse qu'il ne me mépriserait pas du tout si je m'arrêtais, que c'était moi qui m'acharnais et qui au fond ne m'autorisais pas à un moment d'abandon, et qu'il ne comprenait pas. Ma soeur m'envoie des mails tous doux ; quelques amis, qui se doutent de quelque chose, se manifestent par des mails ou des sms affectueux et pudiques.

Ce sont des pleurs trois fois par jours, des difficultés à respirer au travail ou la nuit, une peur constante et dévorante mais pourtant dirigée vers l'inconnu et épuisante à combattre, une crise d'angoisse à la supérette d'en face. C'est quelque chose que l'on peine à évoquer à décrire mais pourtant omniprésente, à bord de gorge, de yeux, de souffle, pour peu que l'on relâche sa vigilance un seul instant. C'est quelque chose d'intransigeant qui ne peut pas se partager avec d'autres sentiments. Soit c'est là, soit c'est le pilote automatique, mais il n'y a pas d'entre-deux possible. Quand je muselle le monstre, je suis tellement concentrée sur la bride que je suis là sans être là.

Bref, c'est ridicule, mais c'est épuisant.

Naufrage

Partager cet article