Des larmes, un torrent de sanglots déferlant sur les heures qui tournent, les flots provenant de mon gouffre intérieur qui débordent et me noient ; malgré l'amour de mon colocataire, la bonne santé de mes proches, et tous ces états de faits pour lesquels j'exprime ma reconnaissance chaque soir à un Dieu créateur et mystérieux.

Et puis la porte claque et sous mon nez, il brandit un livre qu'on m'a conseillé à deux reprises et qui trottait dans ma tête et ma gorge ces derniers temps.

"Trop intelligent pour être heureux ?" (ce qui est une bonne question)

Je me retrouve à chaque coin de page, dans le bourdonnement ininterrompu du flux de mes pensées, dans le tourbillon constant d'émotions débordantes qui menacent de m'engloutir, dans la poly-dimension des situations les plus simples et dans la chape de plomb écrasant mes envies d'agir. Dans la solitude profonde qui a toujours été la mienne, lourd bagage, mais aussi, plus rarement d'accord, mais quand même, quelle chance, à la source d'un bonheur intense, d'une foi inextinguible, d'une lumière chaude, pure, insoutenable me bénissant lors de simples trajets en voiture à toute vitesse sur l'autoroute et sous le mordoré des nuages. Lors d'une contemplation des vagues de la mer japonaise. Lors des dessins tracés dans le sable à paillettes. Lors de conversations où enfin les frontières s'abolissent et me laissent entrevoir un monde où l'on me reconnaîtrait.

Je retrouve entre deux paragraphes les abysses d'angoisse qui sont devenus terriblement familiers et pourtant toujours aussi asphyxiants. Qui me faisaient interrompre ma mère alors qu'elle m'expliquait comment fonctionnait notre système solaire parce que "arrête, ça fait trop peur, de penser que l'on pourrait ne vivre que dans le noir", qui m'ont rendu insomniaque à l'âge de dix ans (au point d'aller lire toute la nuit dans la salle de bain et que ma mère me retrouve somnolante mais éveillée à 7 h un 25 décembre au matin) ; qui me terrassent maintenant et me rendent incapable de profiter réellement de la volupté du sommeil et des volutes fruitées et mielleuses que l'on peut pourtant retrouver dans chaque cuiller, pour peu que l'on soit disposé à apprécier les plaisirs de la table et de la vie terrestre.

Je retrouve l'ennui qui me fait pleurer à chaque première semaine de chaque job, qu'il soit alimentaire ou grande mission, parce que j'ai l'impression de me voir déjà robotisée pendant les prochaines semaines, en mode automatique, tant les choses sont facilement préhensibles.

C'est une piste ! c'est une piste. Même si je suis encore perdue, c'est comme suivre le premier caillou. Peut-être vais-je remonter le courant, courir vers ce qui n'attend que moi, m'élancer vers ces parts de moi-même laissées en friche depuis trop longtemps.

Mark Rothko

Début de piste

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